Parole d’expert – Une nouvelle série d’entrevues de la Fondation Rivières où différents expert.es nous éclairent sur les enjeux qui nous touchent. Nous ouvrons cette série avec l’analyste en énergie Jean-François Blain, qui dresse le portrait des impacts du projet de loi 69, initié par le gouvernement du Québec.
Parole d’expert - Énergie
À titre d’analyste dans le secteur de l’énergie depuis le milieu des années ’90, Jean-François Blain a témoigné devant plusieurs instances (Régie de l’énergie, BAPE, COMEX, commissions parlementaires) et a cumulé de très nombreuses interventions et collaborations dans les médias sur les enjeux de l’énergie, qu’il s’agisse des secteurs électrique et gazier ou de l’encadrement des prix des produits pétroliers. Il a également conseillé et représenté des associations de consommateurs, des groupes environnementaux et des syndicats de travailleurs.
La commission parlementaire du projet de loi 69 a lieu du 10 au 19 septembre 2024.
1. Que propose le projet de loi 69?
Le projet de loi 69 propose une propulsion industrielle dans des proportions pharaoniques. Il met en place une accélération de la production d’électricité dans des quantités sans précédent dans l’histoire d’Hydro-Québec. On parle d’augmenter la capacité d’électricité et la quantité d’électricité produite de 33% en 12 ans. On parle d’investissements annuels de 15 milliards de dollars annuellement, alors que le rythme de croissance d’Hydro-Québec est actuellement de 4.5 milliards de dollars par an, pour des investissements totaux de 180 milliards de dollars. Le problème majeur est que tout cela n’est pas au service de la décarbonation. Le risque financier sera sur le dos de la collectivité via les tarifs d’électricité. On fait porter à la forme d’énergie propre qu’on veut favoriser les coûts occasionnés par l’énergie sale dont on prétend vouloir se débarrasser.
La Commission parlementaire sur le projet de loi 69 (PL69) a lieu du 10 au 19 septembre 2024. La Fondation Rivières dépose son mémoire le 17 septembre. Jean-François Blain dépose le mémoire de l’IRIS le 19 septembre.
2. Pourquoi le projet de loi 69 s’éloigne de la décarbonation promise?
Le gouvernement n’a pas de plan clair de décarbonation: il n’y a aucun dispositif assorti d’objectifs de réduction à des échéances déterminées, avec mécanisme de suivi et reddition de comptes. Il n’existe pas non plus de plan financier pour la transition énergétique. On se trouve face à un plan d’expansion d’Hydro-Québec, avec un cadre financier qui repose sur les revenus disponibles à même les tarifs d’électricité de la collectivité. Les investissements massifs auront un effet direct sur les tarifs à la consommation. On parle donc de 6% d’augmentation des tarifs par année, pour une augmentation cumulative de de 75% au bout de 12 ans.
3. Quel sera l’impact sur les tarifs?
Le gouvernement n’a pas de plan de décarbonation et pas de plan financier pour la transition énergétique. Le plan proposé est celui de l’expansion d’Hydro-Québec pour la production de l’électricité et le cadre financier habituel des revenus disponible à même les tarifs d’électricité de la collectivité. C’est donc la collectivité qui va financer le coût de cette nouvelle production d’électricité, avec une augmentation prévisible de 6% par année, pour un total d’augmentation de l’ordre de 65 à 75 % sur un horizon de 12 ans.
4. Quelle est l’intention du gouvernement avec ce projet de loi?
Le gouvernement veut faire une grande relance accélérée de la production d’électricité. Cette fuite en avant productiviste et cette déréglementation d’Hydro-Québec amènera une plus grande participation de capitaux et de partenaires privés dans la propriété et l’exploitation de l’électricité au Québec, peut-être même la propriété de certaines des nouvelles lignes de transport qui seraient privées.
5. Quel sera l’impact du projet de loi 69 sur les rivières?
Ce développement avec des proportions démesurées va possiblement se concentrer à court terme sur le développement de la filière éolienne, et ré-équiper en puissance ses barrages existants afin de maximiser leur utilisation jusqu’à 2000 MGW. On envisage aussi un projet de centrale à réserve pompée dont l’usage est localisé. Ce projet de loi modifie le seuil de 50 à 100 MGW pour le développement de barrages au fil de l’eau par le privé, ce qui va ouvrir la possibilité de multiples projets sur des petites et moyennes rivières menés à l’extérieur d’Hydro-Québec. Mais il est plus que vraisemblable de penser qu’Hydro-Québec va réactiver des projets de grands barrages hydro-électriques, notamment sur Petit-Mécatina ou d’autres rivières sur la Côte-Nord.
6. Est-ce que le projet de loi 69 est une bonne chose pour Hydro-Québec?
Hydro-Québec nous présente ce projet comme si cela présentait l’avantage de ramener la production éolienne dans le giron public. Mais c’est en fait un mécanisme pour mettre en place des partenariats public-privé. C’est une question délicate car présentée sous la vertu de partenariats bénéfiques à diverses communautés, alors que les profits sont centralisés aux communautés locales. Ce qu’il faudrait c’est plutôt créer un fond régional de développement des régions qui serait redistribué selon des règles de répartition établies, qui serait financé par Hydro-Québec, ce qui nous éviterait d’être tributaire d’un monnayage des communautés locales et d’un petit patronage perpétuel. Cela aurait l’avantage d’empêcher toute forme de manipulation pour des considérations politiques opportunistes à propos de l’affection des ressources financières mises au service de notre développement énergétique. Cette solution résoudrait plusieurs enjeux de paix sociale et d’hygiène démocratique. Cette solution avait été proposée par Karine Filiatrault, une ancienne employée de la Fondation Rivières.
7. En quoi le projet de loi 69 modifie la vision de l’aménagement du territoire?
Beaucoup d’ambitions financières sont attisées par cette propulsion industrielle et les partenariats multiples qui ne viennent pas nécessairement du Québec. Ce qui veut dire beaucoup d’ambition additionnelles quant à l’occupation et l’usage du territoire à des fins énergétiques. Cette dynamique vient court-circuiter une prise en compte équilibrée des préoccupations environnementales, sociales et économiques puisqu’une communauté spécifique est bénéficiaire et ses besoins auront préséance sur les autres intérêts. Toute la mécanique démocratique en fonction des intérêts communs est remise en question pour prioriser les besoins d’une seule communauté. On va effectuer une ponction via les tarifs de la collectivité et on va redistribuer une sélectivement une partie des bénéfices à des partenaires financiers désignés. On met donc en place une privatisation d’une partie des bénéfices générés par tout ce qui est financé collectivement via nos tarifs. C’est la confiscation d’une partie de la rente énergétique issue de nos investissements collectifs vers des intérêts privés.
8. Comment se faire entendre par rapport au projet de loi 69?
Les citoyens doivent faire entendre leur point de vue dans l’espace démocratique. Il faut continuer à demander, comme nous le faisons depuis 2 ans, d’avoir un grand débat sur l’énergie et les ressources au Québec. On ne peut amorcer une transition énergétique sans des dispositifs formels qui nous engagent à réduire notre consommation de pétrole et de gaz. Lors de la Commission parlementaire, il y aura une minorité d’intervenants qui vont avoir fouillé le projet de loi et qui prendront des positions plus critiques. Le seul espoir d’un changement de cap est d’influencer les parties d’opposition et l’opinion publique par diffusion médiatique. Il faut revendiquer la mise sur la glace ou l’abandon de ce projet de loi et demander la tenue d’un débat démocratique sur l’avenir énergétique du Québec.
Visionnez ici l’intégrale de l’entrevue.
Lisez notre mémoire sur le PL 69