LETTRE OUVERTE
Montréal, le 7 mars 2025 – Les projets de construction freinés par l’insuffisance des infrastructures d’aqueduc et d’égout ne montre que la pointe de l’iceberg d’un ensemble de problèmes de gestion de l’eau dans les municipalités et les ministères impliqués. À la veille du dépôt du prochain budget provincial par le ministre Girard, il importe de mettre en évidence les besoins prioritaires dans la gestion actuelle.
Ce budget contiendra les montants pour les travaux d’infrastructures d’eau potable et d’eaux usées réservés au Plan québécois des infrastructures (PQI) 2025-2035. Or, le PQI actuel ne prévoit que 7,1 G$ d’aide aux municipalités sur 10 ans, et cela presque uniquement pour maintenir des actifs, c’est-à-dire remplacer les ouvrages existants, principalement des tuyaux.
Or ce montant doit être triplé : 14 stations d’épuration doivent être mises aux normes d’ici le 31 décembre 2030 pour cesser de polluer et être conformes à la réglementation. On parle ici d’environ 20 à 25 G$ de travaux qui ne sont aucunement budgétés pour des villes comme Montréal, Longueuil, Laval (2 stations), Québec (2 stations), Repentigny, etc. À cela il faut ajouter des travaux pour éliminer 78 rejets d’eaux usées municipales, illégales, et dont le coût des projets a explosé. Le seul projet de Sainte-Rose-du-Nord est estimé à 21 M$. Si on prévoit 15 M$ par projet, on en arrive à un besoin de plus de 1 G$. Enfin, des dizaines d’autres systèmes doivent être corrigés pour respecter les normes, d’autres milliards $ à prévoir.
« Si le Québec veut investir pour atténuer les mesures tarifaires de Trump, voilà une opportunité de faire ce qui doit être fait, avec un autre bénéfice important, celui de ne pas léguer des infrastructures déficientes à la prochaine génération. »
Alain Saladzius
Les municipalités constatent maintenant la nécessité de davantage planifier le développement en tenant enfin compte de la capacité des infrastructures d’eau. Chacune doit ainsi identifier les secteurs pouvant accueillir un développement et ceux dont la capacité est atteinte. Un outil informatique, AuditEAU, a été développé par la Fondation Rivières en intégrant les données officielles produites par les municipalités elles-mêmes. AuditEAU permet de connaître le comportement de chaque ouvrage depuis 2017 et d’identifier, en quelques minutes, les ouvrages dont la capacité est critique. C’est ainsi que l’on peut dénombrer des dizaines de stations d’épuration dont les concentrations de pollution de l’eau traitée dépasse, depuis plusieurs années, les limites permises …
En fait, les subventions sont normalement versées aux municipalités qui doivent faire des travaux suite à des changements de réglementation plus sévères, et non pour soutenir le développement.
Le coût de la production d’eau potable et de traitement des eaux usées atteint maintenant 4,18 $ le mètre cube selon le dernier Rapport annuel de l’usage de l’eau potable 2022 du ministère des Affaires municipales et de l’Habitation. C’est le coût auquel les citoyens devraient s’attendre à payer, ce qui ne tient pas compte de l’effet des changements climatiques.
D’autre part, l’ensemble des projets à réaliser devrait faire l’objet d’une concertation entre les ministères de l’Environnement et des Affaires municipales. Le premier détient actuellement les connaissances permettant d’identifier des priorités, et le second attribue le financement requis. Il est nécessaire d’allouer les ressources aux projets prioritaires qui rapporteraient le plus de bénéfices environnementaux en établissant des priorités par bassin versant et non selon la règle qui prévaut du premier arrivé, premier servi. Enfin, il y a lieu d’évaluer la pertinence de remettre en place une société d’État dédiée exclusivement à la réalisation des infrastructures d’eau avec l’expertise, les outils de gestion et le financement nécessaire.
Par Alain Saladzius, président de Fondation Rivières
Ce texte est initialement publié dans la section Dialogues & Opinions de La Presse.
Photo : Alain Roberge – Archives de La Presse