Au Québec, il existe près de 30 000 exploitations agricoles. Qui plus est, au-delà de 40 000 personnes travaillent dans ce secteur. C’est donc dire que l’agriculture occupe une place prépondérante dans notre économie. Malheureusement, elle occupe aussi une place importante dans le palmarès des sources de contamination de nos cours d’eau. Mais comment l’agriculture a-t-elle un effet dommageable sur les lacs et rivières, exactement?
Prélèvements d’eau
Plusieurs terres agricoles au Québec ont un accès direct aux cours d’eau. En consultant le profil régional de l’industrie bioalimentaire au Québec, on remarque que plusieurs sont à proximité du fleuve Saint-Laurent ou du Lac-Saint-Jean, par exemple. Ce phénomène s’explique par des raisons historiques et par le fait que l’agriculture requiert de grandes quantités d’eau.
De fait, l’agriculture requiert plus d’eau que toute industrie : au niveau mondial, l’eau à des fins d’irrigation agricole accapare 70 % à 80 % de toute l’eau douce consommée sur la planète. Les secteurs des produits animaliers sont les plus voraces. Le Québec est d’ailleurs un terreau fertile pour l’industrie porcine : elle fournit 6 % de tous les porcs consommés dans le monde. En 2019, cela représentait une production de 7,1 millions de bêtes! Arrosage des céréales servant à nourrir l’animal, hydratation, nettoyage des installations : lorsqu’on considère l’ensemble de la production animale du Québec, on comprend pourquoi la consommation d’eau augmente si rapidement.
D’où provient l’eau prélevée?
Cette eau, tout comme l’eau potable, est puisée des nappes d’eau souterraines ou simplement d’eau de surface (dans les lacs et rivières). Il arrive même que l’eau soit puisée à même certains milieux humides.
Certains agriculteurs et agricultrices arrivent à se contenter de l’eau pluviale récoltée dans un puits pour arroser leurs terres; leurs actions ne sont ainsi pas prises en considération dans le calcul de prélèvement. Par contre, avec les changements climatiques et les périodes de sécheresse et d’inondation, ces agricultrices et agriculteurs risquent de se tourner vers des d’autres sources que pluviales et de faire gonfler les chiffres actuels.
Conséquences des prélèvements d’eau
Lorsqu’une quantité significative d’eau est prélevée, cela risque de créer de l’étiage (le plus bas niveau des eaux) et de modifier le débit naturel du cours d’eau. En cas de débit affaibli, les contaminants sont dès lors moins bien dilués. En période d’étiage, les activités nautiques et de baignade sont affectées.
Le plus préoccupant, c’est que l’eau potable et l’eau d’agriculture sont, en quelque sorte, en compétition : on devra faire un choix considérant que l’on prévoit atteindre une population de 9,6 milliards d’humains en 2050, que la demande mondiale alimentaire doublera, que les changements climatiques altéreront la quantité d’eau disponible en générant des sécheresses et des inondations, et que certaines régions ont déjà des enjeux de pénurie d’eau potable.
Contaminants : phosphore, azote et coliformes fécaux
La production agricole a plusieurs autres répercussions sur les cours d’eau. Elle cause entre autres un fort taux de phosphore et d’azote dans l’eau ainsi qu’une présence plus élevée de coliformes fécaux.
La présence de phosphore dans l’eau n’est pas alarmante en soi. Elle est même essentielle à la productivité des écosystèmes d’eau douce. Par contre, dû aux activités humaines comme l’agriculture, il y a beaucoup trop de phosphore dans nos cours d’eau. En effet, selon des chercheurs d’une étude de l’Université de Montréal et l’Université McGill étudiant des données entre 1985 et 2011, 19 des 23 bassins versants étudiés ont franchi le seuil des 2,1 tonnes par kilomètre carré. Selon leurs estimations, cela prendrait des centaines (peut-être même des milliers) d’années pour revenir sous un seuil acceptable.
Le niveau de contamination en azote est moins important que pour le phosphore, mais il ne faut tout de même pas le négliger. En 1981, « 80 % des terres agricoles au Canada se retrouvaient dans la catégorie de risque “très faible” pour le risque de contamination de l’eau par l’azote ». En 2016 ce sont seulement 49 % qui étaient à « très faible » risque. Sans surprise, les régions ayant subi une densification plus intense depuis les dernières années sont celles où le risque est le plus grand. La carte suivante démontre quelques régions des plus à risque par une couleur plus foncée.
Conséquences des contaminants
Le phosphore et l’azote se retrouvent en effet dans plusieurs fertilisants, qui comprennent parfois en plus du potassium, et dans le fumier. Lors des périodes d’épandage, les agriculteurs et agricultrices recouvrent leurs terres d’une couche d’engrais et de fumier. Le phosphore et l’azote se fixent alors dans le sol jusqu’à parfois le saturer. Lorsqu’il y a des pluies, ou tout autre déversement d’eau, les précipitations ruissellent et s’écoulent en emportant les contaminants avec elles jusqu’à ce que ceux-ci rejoignent les eaux de surface et souterraines.
De façon similaire, lors d’érosion, les sols saturés contaminent les berges et l’eau. Puis, présent en trop grande quantité dans l’eau, l’azote peut être nocif pour la santé humaine alors que le phosphore cause plutôt de l’eutrophisation. Rappelons que les terres agricoles sont souvent situées près des cours d’eau; les gouttes ruisselées ont donc une concentration plus élevée que si les gouttes faisaient un plus long voyage.
D’ailleurs, en plus de générer du phosphore, les pratiques d’épandage contaminent aussi les eaux de coliformes fécaux. En effet, les coliformes fécaux sont des bactéries contenues dans les excréments. Par les mêmes principes de ruissellement et d’érosion, le fumier contamine les cours d’eau. Ainsi, il devient impossible de nager ou de naviguer une eau ayant des taux trop élevés de coliformes fécaux.
Effets cumulatifs
Avec ces formes de contamination, on remarque souvent un effet cumulatif. Puisque les fermes sont souvent assez proches les unes des autres, les contaminants émis par chacune d’elles sont additionnés aux autres. Autrement dit, en ayant plusieurs fermes plutôt qu’une ferme, on augmente le volume total de phosphore émis dans un rayon de 10 km. D’ailleurs, il n’y a actuellement aucune obligation de caractériser l’emplacement de toutes les fermes du Québec. Les municipalités régionales de comté (MRC), elles, vont le faire dans leur plan de développement de la zone agricole. Ainsi, les permis octroyés ne prennent pas en considération l’activité du voisinage.
Cet effet de proximité a aussi un effet sur les prélèvements, car s’il n’existe qu’une seule ferme dans un rayon de 10 km, ses prélèvements ne risquent pas d’affecter les cours d’eau. Cependant, une région ayant une centaine de fermes dans un rayon de 10 km peut avoir de sérieuses répercussions. Contrairement aux contaminants, les prélèvements d’eau sont déclarés au Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) et sont donc comptabilisés.
De plus, entre eux, les différents contaminants peuvent avoir un effet cumulatif. En effet, la présence de coliformes fécaux va, par exemple, priver une eau d’oxygène tout comme le phosphate. Ainsi, lorsqu’on retrouve plusieurs contaminants différents, l’eutrophisation peut être encore plus rapide.
Comprenons-nous bien : l’agriculture est essentielle pour subvenir aux besoins de la société, mais dans une logique de protection de l’environnement et de justice sociale, ses pratiques méritent d’être revues et mieux encadrées. Réduire les exportations, diversifier nos industries pour une meilleure autonomie, limiter la quantité de grandes fermes d’exploitation et prioriser les fermes à dimension humaine qui favorisent l’agriculture de proximité sont des avenues à explorer.
Photo principale : Hindrik Sijens
À propos de l’auteure
Coralie Massey-Cantin