La Fondation Rivières a déposé un mémoire au Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) concernant le projet d’aménagement hydroélectrique sur la rivière Romaine, dont voici les conclusions.
Un choix de société à faire
L’étude du projet La Romaine, même si tel n’est pas le propos immédiat de cette Commission, nous donne l’occasion de revoir la filière de grosse hydraulique en termes de développement énergétique mais aussi en termes de développement économique et
social du Québec. Cette Commission nous donne également l’opportunité de revisiter la pertinence et le fonctionnement de certaines de nos pratiques et institutions en matière environnementale.
Nous engageons fortement cette Commission à ne pas éluder ces occasions de dépoussiérer nos systèmes et à aborder franchement les choix sociaux qui sont devant nous. De façon plus précise, et tout en restant dans le cadre particulier de La Romaine, des questions fondamentales peuvent être soulevées par cette Commission.
Citons en particulier celles-ci :
1. Développement durable
« Satisfaction des besoins essentiels en ce qui concerne l’emploi, l’alimentation, l’énergie, l’eau, la salubrité ». Rappelons les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), signé en 2000 par les États membres de l’ONU qui ont convenu de les atteindre d’ici à 2015. Le septième objectif consiste à assurer un environnement durable et repose sur 4 cibles. Deux de ces cibles sont pertinentes dans le cas de l’étude La Romaine.
- Première cible : Intégrer les principes du développement durable dans les politiques et les programmes nationaux et inverser la tendance actuelle à la déperdition des ressources naturelles.
- Troisième cible : Réduire la perte de biodiversité et atteindre d’ici 2010 une diminution importante du taux de perte.
Cette Commission a le pouvoir et l’autorité d’examiner le projet La Romaine dans le cadre fournie par les objectifs du Millénaire et la définition convenue du développement durable. Cette Commission peut soulever, de façon pertinente, des questions sur la perte de biodiversité réelle ou appréhendée, et sur l’intégration, dans les politiques québécoises, d’options renversant la tendance à la déperdition des ressources naturelles dans une optique de préservation de l’eau.
Cette Commission peut rappeler que des technologies de moindre impact mais tout aussi efficaces que le projet La Romaine peuvent être employées pour atteindre les résultats recherchés en termes de production énergétiques, de rentabilité et d’emplois, ce qui serait plus conforme aux objectifs et à la définition du développement durable.
Cette Commission peut rappeler au gouvernement du Québec et à son responsable énergétique Hydro-Québec que les projets qu’ils présenteront dorénavant devront s’inscrire dans le cadre des préceptes du développement durable et seront jugés d’après ses critères.
2. Environnement
Les mesures d’atténuations et de compensations forment les bases fondamentales de la recommandation des projets. Il est temps de marquer un temps d’arrêt et de s’assurer que cette formule est adéquate pour justifier des projets et que tous les outils sont disponibles et adéquats pour en juger de l’efficacité. Il est temps aussi de réfléchir à la limite qui doit être fixée en ce qui a trait au nombre de ces mesures pour un seul projet et à leur degré de complexité et d’incertitude.
La crédibilité des suivis environnementaux est totalement minée par le fait qu’ils sont pas ou peu disponibles, ou, pire encore, qu’ils sont réalisés uniquement par le promoteur, sans aucun suivi indépendant. L’occasion est offerte à cette Commission d’établir clairement que seul un suivi indépendant, dont les résultats sont divulgués et accessibles, constitue le fondement indispensable de toute autorisation environnementale. Plus, sur la foi des bilans de ces suivis indépendants et pour en établir leur crédibilité et leur pertinence, les projets réalisés devraient faire l’objet d’évaluations à échéances au cours des années, évaluations pouvant mener à des modifications ou même à un arrêt des activités si les impacts ne sont pas conformes aux objectifs ou sont jugés trop sévères.
3. Institutions démocratiques et démocratie
Le Bureau d’audiences publiques en évaluation environnementale et la participation publique sont de grands acquits sociaux pour le Québec. Or, la crédibilité et la légitimité du BAPE sont vacillantes dans le public, notamment au chapitre de son indépendance vis-à-vis du pouvoir politique et de l’incapacité grandissante, pour le public d’effectivement participer au processus.
Cette Commission pourrait saisir l’occasion de rappeler au gouvernement l’obligation d’indépendance et d’apparence d’indépendance du BAPE en recommandant que des mesures soient prises au chapitre de la nomination des commissaires et des mandats qu’on leur confie. La Commission pourrait également recommander au gouvernement de confier au BAPE des mandats génériques sur des filières plutôt qu’uniquement des mandats à la pièce par projet, ce qui a pour conséquence de fragmenter la vision d’ensemble des impacts d’une filière, y compris pour le BAPE, l’empêchant ainsi de jouer son rôle.
Cette Commission pourrait recommander au gouvernement de consolider la participation du public en lui garantissant, à l’instar de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale, les ressources financières requises pour effectivement contrexpertiser les études d’impact des promoteurs. Dans le même ordre d’idées, s’il est vrai que des contraintes budgétaires ont empêché cette Commission de véritablement communiquer avec le public du Québec via des moyens techniques ou par des audiences supplémentaires, elle pourrait recommander au gouvernement de relever les budgets octroyés au BAPE.
Éthique : Cette Commission pourrait, avec pertinence, relever et statuer sur les problèmes d’éthique et de transparence soulevés par un promoteur qui utilise des fonds publics à des fins de publicité avant étude de son projet ou encore, aux fins de s‘allier secrètement des représentants élus à des fins de promotion et de lobbying. La Commission pourrait relever que ces ententes monétaires secrètes avec des communautés dans le cadre d’un projet ne sont aucunement soumis à l’examen extérieur et contreviennent au principe de reddition de compte.
Ce ne sont ici que des questions partielles. Mais elles concernent toutes, de façon directe, notre capacité d’envisager, de décider et d’influer sur notre avenir collectif en toute démocratie. En ce sens, elles nous apparaissent primordiales.
Photo tirée du film Chercher le courant