LETTRE OUVERTE
Ca y est ! On a finalement découvert le pot aux roses. Lors d’une rencontre avec les employés d’Hydro-Québec, Michael Sabia, p.-d.g. de la société d’État, a affirmé qu’il faudra augmenter les tarifs d’Hydro-Québec. Le premier ministre François Legault a bien tenté de se faire rassurant en disant qu’il n’augmentera « jamais » les tarifs d’électricité au-delà de l’inflation ou d’un plafond de 3 %. Le fait qu’il ne veuille pas s’engager après 2025 a de quoi inquiéter.
D’autant que l’affirmation de Michael Sabia arrive au moment où le gouvernement prépare un projet de loi majeur qui changera la façon dont fonctionne le secteur de l’énergie au Québec. Le débat de société sur l’énergie, que la Coalition avenir Québec (CAQ) s’était pourtant engagée à tenir, n’a pas eu lieu.
L’électricité, une occasion d’affaires?
Selon Michael Sabia, les tarifs d’électricité doivent être revus à la hausse « pour mieux refléter la réalité que l’électricité est devenue maintenant un actif précieux ». Évidemment, dans un contexte où les entreprises veulent verdir leur image en sortant des énergies fossiles, l’énergie « propre » d’Hydro-Québec a une grande valeur. On assiste actuellement à une explosion de la demande d’hydroélectricité de la part d’entreprises énergivores.
Le p.-d.g. d’Hydro-Québec et le ministre de l’Énergie (qui est aussi ministre de l’Économie, rappelons-le) semblent voir la transition énergétique comme une simple occasion d’affaires. Est-il vraiment nécessaire de leur expliquer qu’avant d’être un actif précieux, l’électricité est un service essentiel?
Les nouveaux approvisionnements sont-ils vraiment nécessaires?
Pour le p.-d.g. d’Hydro-Québec, les hausses de tarifs se justifient également par l’augmentation de la production d’électricité. De nombreux chiffres ont circulé à ce sujet. En 2022, Hydro-Québec estimait à 100 térawatts-heures (TWh) les besoins supplémentaires en énergie du Québec pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Le ministre de l’Énergie a ensuite laissé entendre que les exigences pourraient atteindre 150 TWh, puis 200 TWh, soit le double de la production actuelle, rien de moins!
Avant de se lancer dans des projets d’approvisionnement coûteux, n’y aurait-il pas lieu de réfléchir à des mesures qui favorisent la réduction des demandes en énergie? Plutôt que de construire de nouveaux barrages ou de rouvrir une vieille centrale nucléaire, pourquoi ne pas instaurer des programmes massifs pour isoler les logements, développer le transport collectif, mettre en place des mesures d’efficacité énergétique en entreprise, etc.?
Ce n’est pas un plan de transition énergétique que le gouvernement semble avoir, mais plutôt un plan de développement économique, et c’est la population qui en paiera le prix. D’abord parce que nous n’atteindrons pas nos objectifs de réduction des gaz à effet de serre et ensuite parce que nous paierons ces choix politiques à travers nos factures d’électricité.
Des cibles politiques
Ces cibles sont donc la responsabilité de l’État et non celle des clients résidentiels d’Hydro-Québec. La diminution des gaz à effet de serre est bénéfique pour toute la société. La transition énergétique doit être financée par l’ensemble de la population et non seulement par les consommateurs résidentiels d’Hydro-Québec.
Les tarifs d’électricité sont les mêmes pour tout le monde, peu importe le revenu. Utiliser les tarifs d’électricité pour financer la transition est une forme de taxation régressive (contrairement à l’impôt). C’est aussi faire porter une proportion injuste des coûts sur les ménages les plus vulnérables.
Il est important de rappeler qu’au Québec, une personne sur sept éprouve des difficultés à avoir l’énergie nécessaire dans son logement pour la satisfaction de ses besoins de base ou y arrive au détriment d’autres besoins essentiels, comme manger. Le gouvernement doit cesser de fermer les yeux sur les problèmes d’accès à l’énergie que vivent des centaines de milliers de personnes au Québec.
La mission première d’Hydro-Québec, qui était de fournir de l’électricité aux Québécois à un juste prix, est bel et bien derrière nous. Si quelqu’un se demandait encore à qui appartient Hydro-Québec, il a maintenant sa réponse : elle appartient au gouvernement qui, loin de protéger la population, agit en spéculateur d’un produit de luxe!
Auteure et signataires
Émilie Laurin-Dansereau, conseillère budgétaire à l’Association coopérative d’économie familiale (ACEF) du Nord de Montréal, est l’auteure de cette lettre, initialement publiée dans Le Devoir. Ses propos sont appuyés par :
- Association coopérative d’économie familiale (ACEF) de l’est de Montréal
- Association coopérative d’économie familiale (ACEF) du sud-ouest de Montréal
- Association coopérative d’économie familiale (ACEF) Lanaudière
- Coalition des associations de consommateurs du Québec (CACQ)
- Coalition contre la pauvreté de La Petite-Patrie Comité logement de Petite Patrie
- Greenpeace Canada
- Le Groupe l’Entre-Gens
- L’Écho des femmes de la Petite Patrie ; Regroupement des organismes environnementaux en énergie
- Mouvement Action-Chômage (MAC) de Montréal
- Table régionale des organismes volontaires d’éducation populaire (TROVEP) de Montréal
- Fondation Rivières
- Montréal pour tous
Crédit photo principale : Jacques Nadeau/Archives Le Devoir