Journée internationale d'action pour les rivières
Les batailles d’hier rejoignent celles d’aujourd’hui. En cette journée internationale d’action pour les rivières, nous avons voulu rendre hommage à un ardent défenseur de nos territoires: le biologiste Jean Bédard. Toujours actif à 85 ans, Bédard est un homme inspirant qui s’est battu contre Hydro-Québec pour la sauvegarde d’un territoire exceptionnel: la vallée et la rivière Jacques-Cartier.
La lutte qu’il a menée en 1972 trouve écho dans l’actualité de 2024, alors qu’Hydro-Québec clame haut et fort la même rengaine qu’il y a 50 ans. Le contexte est différent aujourd’hui: les changements climatiques et la crise de la biodiversité tissent la trame de fond de la pièce qui se joue aujourd’hui. À l’époque, c’était seulement le début d’un éveil écologique pour le Québec. Réveil auquel Jean Bédard a grandement contribué.
La société d’État bouscule les citoyens et citoyennes d’aujourd’hui comme autrefois avec le même sentiment d’urgence, à nous imposer des décisions prises derrière des portes closes. En 1972 comme en 2024, le gouvernement et Hydro-Québec ont la même volonté d’exploiter des territoires sauvages, à vouloir développer à tout prix notre énergie, sans placer la préservation de la biodiversité au cœur de tout.
Le récit d’une victoire: la rivière Jacques-Cartier sauvée
En 1972, le biologiste Jean Bédard gagne de façon éclatante une importante lutte pour la protection de la rivière Jacques-Cartier. À l’époque, Hydro-Québec envisage de construire une centrale à réserve pompée nommée Champigny dans cette vallée, à quelques kilomètres de la ville de Québec.
La société d’État concocte dès 1971 un ambitieux projet de 175 millions pour développer 7 sites qui pourraient produire jusqu’à 26 000 mégawatts par jour, afin de faire de la vallée de la Jacques-Cartier «la vallée de l’énergie de pointe». La société d’état évoque à l’époque une urgence face à la demande d’électricité afin de faire pression pour la construction de cette centrale.
Champigny aurait entièrement immergé l’écrin naturel où se trouve la rivière Jacques-Cartier, envisagé comme lieu idéal pour ce type de centrale, avec son encaissement de 550 mètres. Hydro-Québec veut développer rapidement, pensant que ce lieu méconnu n’est cher au cœur de personne.
Jean Bédard: sonneur d’alerte qui fit tomber le projet d’Hydro-Québec
L’incroyable beauté du parc national actuel et de sa précieuse rivière Jacques-Cartier était pratiquement inconnue des Québécois il y a 51 ans, sauf de quelques pêcheurs et des Premières Nations. Le spectaculaire site de la rivière Jacques-Cartier était alors difficilement accessible, cerclé de toutes parts par la compagnie Domptar. Jean Bédard bataille ferme avec le Comité pour la conservation de la Jacques-Cartier pour éveiller les citoyens, rapidement convaincus de l’importance de protéger la rivière Jacques-Cartier et son impressionnante vallée.
La bataille de la Jacques-Cartier
Les médias de l’époque s’emparent de l’affaire qui fait grand bruit: la bataille de la Jacques-Cartier. De nombreux journalistes touchés par l’enjeu porté par Jean Bédard, aident la population à mieux comprendre la grande valeur écologique des lieux et à valoriser la beauté de cette rivière encore sauvage. L’histoire ne dit pas si le gouvernement de Robert Bourassa qualifia ces journalistes de militants.
Hydro-Québec ne s’attendait pas à une telle mobilisation. Le combat fut mené avec courage et détermination par un Jean Bédard amoureux de la région et convaincu de la richesse inestimable des grands espaces naturels.
Au final, 46 maires de la grande région de Québec et même les biologistes engagés par Hydro-Québec s’opposent au méga-projet Champigny. C’est dans la foulée de la bataille menée par Jean Bédard que sera créé le parc national de la Jacques-Cartier. Ce parc et sa rivière sera l’un des premiers parcs nationaux à jouir d’un véritable statut protégé.
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Une magnifique vallée glaciaire protégée
Le site majestueux de la vallée de la rivière Jacques-Cartier est un trésor à chérir au Québec, aujourd’hui protégé et visité annuellement par des milliers d’amoureux de la nature et du plein air. Si le projet de Champigny avait vu le jour, ce joyaux naturel du Québec aurait été détruit.
Merci du fond du cœur à Jean Bédard et ses complices pour cette importante lutte gagnée contre le Goliath de l’énergie au Québec.
Des batailles à mener pour la protection des rivières en 2024
Face à l’évocation d’une éventuelle pénurie d’énergie, le président actuel d’Hydro-Québec Michael Sabia ramène aujourd’hui l’idée de construire des centrales à réserve pompée et de nouveaux barrages. Le même discours d’urgence présenté en 1972 par Hydro-Québec refait surface devant la colère qui monte dans les comités citoyens, chez les scientifiques et les groupes écologistes.
La vision de la croissance infinie a la couenne dure, dans notre monde qui hurle pourtant que les limites sont atteintes et qu’il faut faire autrement. Comme Jean Bédard, nous allons devoir nous battre jusqu’au bout pour faire valoir la richesse des dernières grandes rivières sauvages à protéger. À notre tour d’être vigilants, et de mener des batailles justes pour la préservation de nos patrimoines naturels, nos paysages et rivières sauvages. Que les prochains Jean Bédard se lèvent!
Explorez ce magnifique reportage très complet de Radio-Canada Empreinte par le journaliste Guillaume Piedboeuf.
Crédit photo principale: Radio-Canada / Olivia Laperrière-Roy
Yannick B. Gélinas
Yannick B. Gélinas travaille actuellement comme responsable des communications et de la mobilisation pour la Fondation Rivières.