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Guy et Jean sur la rivière du Petit Mécatina

Récit de la première descente en canot recensée sur l’entièreté de la rivière du Petit Mécatina

Cette expédition de 800 km qui devrait nous conduire du Nouveau-Québec, en passant par le Labrador, jusqu’à la Basse Côte-Nord en cet été 1977, a pour origine une journée pluvieuse et froide sur la rivière Rouge alors qu’Alain et moi descendions les « Vingt-et-un-milles ». C’est là que l’idée avait surgi de faire ensemble une expédition d’au moins un mois et qui constituerait aussi une « grande première ».

Alain ne tarda pas à me soumettre un itinéraire. Après de multiples vérifications et quelques modifications, nous en sommes arrivés à un tracé définitif. Cet itinéraire répondait admirablement à nos critères : avoir une durée estimée de 37 jours, être une « première » et être économique, c’est-à-dire accessible sans avion.

Rivière du Petit Mécatina : De gauche à droite : Jean Masson, Serge Théorêt, Sylvain Beaudry, Jean Lauzon, Alain Chevrette et Guy Garand
De gauche à droite : Jean Masson, Serge Théorêt, Sylvain Beaudry, Jean Lauzon, Alain Chevrette et Guy Garand

Nous nous proposions de descendre la rivière du Petit Mécatina sur toute sa longueur, soit 384 km. (NDLR : la rivière du Petit Mécatina fait plus de 545 km selon la Commission de toponymie du Québec). Mais pour atteindre sa source, il y avait 416 km à franchir, 416 km où il faudrait changer deux fois de bassin hydrographique et remonter sur une distance de 75 km des rivières jalonnées de multiples rapides.

L’hiver fut consacré à dresser la liste du matériel, à composer le menu et à recruter quatre membres. Trois mois avant le départ, tout était prêt. Une équipe serait composée de Guy Garand et Jean Lauzon, une seconde de Sylvain Beaudry et Jean Masson, finissants au CÉGEP Montmorency, et la troisième d’Alain Chevrette, professeur à ce CÉGEP, et moi-même, professeur à la Polyvalente Deux-Montagnes

Jours 1 à 7 : Montréal à Sept-Îles

C’est dans une excitation fébrile que nous chargeons nos canots et bagages dans le train de la Quebec North Shore & Labrador Railways à Sept-Îles ce matin du 8 juillet.

C’est parti! Nous descendrons à Oreway, 298 km plus au nord, ou presque, puisque le conducteur a oublié d’arrêter le train au bon endroit. Nous en serons quittes pour un portage allongé de quelques centaines de mètres. Ouf! Déjà, au premier portage, les sacs de 50 kg se font pesamment sentir! Heureusement qu’ils s’allègeront au fil des repas…

Nous devons d’abord franchir une série de lacs : à l’Eau-Claire, Pas-D’Eau, Jospeh, Képimits, Atikonak, reliés par les rivières à l’Eau-Claire, Képimits et Sans-nom. Dès les premiers jours, les émotions sont fortes. Alain et moi devons veiller à ce que les autres jeunes, qui manquent d’expérience, en acquièrent le plus rapidement possible sans prendre de risques inutiles dans les 14 rapides que nous rencontrons.

La pêche est excellente et nos soupers s’agrémentent de brochets, de corégones, de truites mouchetées, grises et d’ouananiches. Nous avons aussi le plaisir d’observer une faune riche et variée : huards, bernaches, canards, hirondelles de mer, tétras, castors, visons, lièvres, caribous. Nous avons la chance inouïe de surprendre à quelques mètres de nous un couple d’aigles à tête blanche. Nous découvrirons leur aire le lendemain.

Encore des barrages? On peut faire mieux!

La rivière du Petit Mécatina est menacée par la construction de centrales hydroélectriques.

Dites au gouvernement qu’on peut faire mieux que des barrages pour protéger les dernières grandes rivières sauvages du Québec

Jour 8 : retrouver son chemin sans boussole

Ce fut une journée mémorable! D’abord on commence à remonter une rivière truffée de rapides. Il faut recourir au halage dans cette eau glacée et cela durera cinq heures. Dans l’après-midi commenceront quatre portages entre de petits étangs en direction de la rivière aux Pêcheurs. Un premier incident survient : Sylvain s’égare avec le canot sur les épaules. Est-ce un présage? Quelques heures plus tard, nous effectuons le dernier portage de la journée, long de 1 km à la boussole, mais lorsque nous retournons chercher l’autre moitié des bagages, nous tentons de le faire sans la boussole. Ce qui devait arriver arriva : nous nous perdons.

Il n’y a pas de panique mais la tension est élevée. Nous sommes au milieu de nulle part, avec la nourriture et des cartes quelque part, les canots et le matériel ailleurs. Il nous faudra trois heures de travail angoissant pour sortir de cette situation précaire. Le tout s’est terminé dans l’obscurité et aux céréales car nous étions trop fatigués pour préparer le souper qui est reporté au lendemain matin.

Le groupe en randonnée lors d’un changement de bassin hydrographique entre la Romaine et le Petit Mécatina. De gauche à droite : Jean Masson, Guy, Alain, Jean Lauzon et Sylvain.
Le groupe en randonnée lors d’un changement de bassin hydrographique entre la Romaine et le Petit Mécatina. De gauche à droite : Jean Masson, Guy, Alain, Jean Lauzon et Sylvain.

Jours 9 à 13 : à la rencontre de la rivière Romaine

Nous continuons de potager pour rejoindre la rivière aux Pêcheurs où plusieurs rapides infranchissables nous obligent encore à effectuer des portages et de la cordelle. Puis nous arrivons à la rivière Romaine qu’on doit remonter. De nombreux rapides entravent encore notre progression. Les mains s’usent et saignent à la cordelle et au halage. Et cette pluie glacée qui est de la partie tous les jours. Après un grand portage, nous attaquons le lac Long dans notre remontée de la Romaine.

Un vent arrière de 40 à 90 km/h crée des vagues de 1 à 2 mètres. C’est enivrant de pouvoir continuer dans ces conditions ; je n’ai jamais rien vu de tel depuis 15 ans que je fais du canot.

Il faut être extrêmement vigilant pour rester à flot. Mais cela nous a permis de faire 34 km en une demi-journée. Peu après le lac Long, nous quittons la Romaine et, après plusieurs portages, dont certains exigeront d’être faits à la boussole et à azimuts composés, nous atteignons enfin, ce mercredi 20 juillet, la rivière du Petit Mécatina.

Jours 14 à 25 : enfin la rivière du Petit Mécatina!

C’est un nouveau départ! Des rapides se succèdent, heureusement, ils sont presque tous franchissables, le débit est faible. Le moral et l’entente entre nous sont au beau fixe, c’est merveilleux! On ne pourrait pas en dire autant du temps. Pas encore une journée entière sans pluie! 

Au jour 17, Alain découvre ce qui semble être les vestiges d’un drame récent. Sur la rive, au pied d’un rapide, nous trouvons une toile de fond en polythène, une paire d’espadrilles, des bas, un imperméable, un sac de couchage de duvet, un sac à dos, une trousse de premiers soins, quelques boîtes de conserves vides, une boîte d’allumettes. Qu’est-il arrivé? Nous craignons le pire. 

À côté du feu, nous trouvons aussi des petits bouquets de feuilles d’aulnes maintenant séchés, ficelés avec du fil, et qui devaient probablement servir à créer de la fumée pour signaler sa présence en les jetant dans le feu lors du passage éventuel d’un avion. Malheureusement, il n’y a pas ou peu d’avion qui fréquentent cette région. Nous présumons qu’un dessalage a eu lieu dans le rapide en amont et que le canot ainsi que le coéquipier, s’il y en avait un, furent perdus. Sans canot, comment rejoindre la civilisation la plus proche, à 400 km de là? 

Expédition rivière du Petit Mécatina

Nous poursuivons notre route, les rapides sont toujours nombreux, le volume de la rivière a considérablement augmenté. Pour la première fois, la sérénité du groupe est brisée. La communication est rompue entre Alain et les autres. Celui-là n’a pas apprécié qu’ils escaladent un énorme rocher, jugeant qu’ils prenaient là des risques inutiles et de nature à compromettre la sécurité de tout le groupe. Le rythme ralentit énormément à cause du mutisme et de l’absence de coopération qu’affiche Alain. Après 24 heures de silence, la communication est rétablie. L’escapade ne sera plus maintenant qu’un sujet de plaisanterie.

Jour 26 : le Grand Canyon québécois

C’est un jour exceptionnel! Nous atteindrons le canyon de 15 km qui est décrit comme très dangereux, même infranchissable, dans le rapport d’un survol effectué en 1972 par Parcs Canada : « (…) le canoéiste aurait de sérieux problèmes s’il s’aventurait aussi loin…»

Canyon, Petit-Mécatina
Portage dans un endroit risqué, rivière du Petit Mécatina

 

Portage à l’entrée du canyon de la rivière du Petit Mécatina. Selon Parcs Canada, « le portage nécessaire pour contourner cette section du canyon semble tout aussi impossible. Il serait nécessaire de gravir une élévation verticale d’environ 600 à 800 pieds (…) et de marcher environ 12 miles sur le terrain le plus accidenté que l’on puisse imaginer. »

Et pour mieux nous faire sentir que nous approchions d’un endroit diabolique, un magnifique loup blanc nous fit dresser les poils sur le dos en nous fixant intensément de la plage où il se trouvait à 25 mètres de nous. C’est à ce moment que nous percevons un grondement lointain. C’est ce que nous nommerons « la porte du canyon ». On y arrive! La rivière s’encaisse subitement entre les montagnes et se rétrécit à 50 mètres. Elle subit d’abord une dénivellation de 5 mètres suivie d’un long R IV-V. Le débit est impressionnant! Ça brasse!

Comme nous l’avions prévu lors de l’élaboration de l’itinéraire, nous camperons à cet endroit et, en randonnée pédestre de 5 jours, nous irons admirer ce canyon. Après, nous reviendrons un peu sur nos pas et prendront une voie d’évitement déjà tracée avant de partir même si cela nous allonge de 60 km.

Jour 27 : renoncer aux avis de Parcs Canada

La randonnée commence par beau temps mais cela devient vite pénible, dans nos légères espadrilles nos pieds en prennent un bon coup. Notre progression est très lente. Nous n’avons franchi que 2,5 km en 4 heures et demie. Impossible de continuer dans ces conditions, une décision s’impose.

À la lumière de ce que nous venons de voir, nous décidons de tenter de franchir le canyon en canot. Au diable les avis de Parcs Canada! Le retour au campement se fera encore plus péniblement sous la pluie.

Expédition sur la rivière du Petit Mécatina
Aventure sur la rivière du Petit Mécatina

Portage sous la pluie, rivière du Petit Mécatina

Jours 28 à 32 : réaliser l’impossible à contre-courant

Le trac est aussi intense qu’au départ de Sept-Îles. Malgré des portages difficiles, nous progressons plus vite qu’hier et c’est moins pénible. Je vais inspecter un court rapide : nous le passerons, il n’y a rien là! Pourtant nous franchissons de peine et de misère ; son niveau change au rythme d’une respiration lente de 3 ou 4 pieds. C’est inimaginable! Les contre-courants sont si puissants que Sylvain et Jean mettent cinq bonnes minutes et font plusieurs tentatives pour en sortir. Nous continuons néanmoins notre lente progression. Les montagnes grossissent et s’escarpent de plus en plus.

Maintenant, voilà que des chutes et des rapides infranchissables, ainsi que des parois quasi verticales hautes de 200 mètres, nous interdisent de continuer par les voies usuelles, soit par l’eau ou par un portage près des rives.

Alain et Sylvain partent en éclaireurs. On apprendra qu’il faut passer par le sommet avec armes et bagages, et qu’après cette montagne, ça semble être possible de potager sur les rives sur 1 km, ensuite la rivière bifurque et on avisera rendu là.

Portage lors des deux dernières chutes, une fois le canyon passé, près du fleuve.
Portage lors des deux dernières chutes, une fois le canyon passé, près du fleuve.

C’est véritablement de l’escalade que nous devons faire, alors qu’on hissera les canots à l’aide des cordes. Ce portage prend 4 heures. On remet à l’eau, on parcourt un demi kilomètre et il faut encore s’arrêter : un rapide grandiose nous y contraint. On fait 1 km de portage sur la rive rocailleuse et nous voici devant un nouveau cul-de-sac. Cette fois, il faudra escalader la plus haute montagne (350 m) ou rebrousser chemin.

Nous choisissons unanimement la première solution. Ne sommes-nous pas venus faire le Petit Mécatina? Mais il nous faut admettre que Parcs Canada avait raison! Ce portage présente des conditions infernales : escalades, pentes raides, et très densément boisées, insectes, pluies, bivouacs plus qu’inconfortables. Cela prendra 4 jours.

Enfin, nous sommes de retour sur les rives du Petit Mécatina, fourbus mais heureux, égratignés et meurtris mais soulagés. Nous mouillons de nouveau nos canots mais pour 200 mètres seulement, encore un portage! Nous camperons là sur les rochers.

Expédition rivière du Petit Mécatina
Camping sur les berges de la rivière du Petit Mécatina

Jours 33 à 34 : sains et saufs… sauf exception

En accostant en amont d’un long R-V, Jean et Sylvain dressaient et, par une chance exceptionnelle et un réflexe miraculeux, j’ai juste le temps de leur lancer ma corde. Désespérément, ils essaient de retenir leur canot, mais c’est inutile car je ne pourrai pas tenir le coup. Je leur crie de le lâcher. Alain part aussitôt à la poursuite du canot. Je termine le sauvetage des naufragés, j’ai les muscles du bras droit luxés et les mains brûlées par la corde, les rescapés sont livides mais entiers.

Qu’est-il arrivé au canot? Alain le récupérera 2 km plus loin, sérieusement endommagé mais, heureusement, les bagages y sont toujours solidement arrimés. Il a accompli là un exploit car sa course l’a entraîné à franchir des parois qui demandent normalement au grimpeur d’être assuré pour les traverser. Il faudra 12 heures le lendemain pour refaire une nouvelle pince au canot de Sylvain tandis qu’Alain prendra cette journée pour récupérer de sa course folle d’hier. Et il nous procurera de nouvelles émotions en retrouvant par hasard des os humains, bassin, vertèbres et fémurs, juste derrière notre campement sur une petite plage.

Jours 35 à 40 : victoire!

Après sept jours et 15 km plus loin, le canyon est terminé… Fini! On crie! On chante! Il fallait être fou pour entreprendre pareille aventure! C’est une journée remarquable aussi parce que c’est notre premier 24 heures sans pluie… et notre dernier! La routine continue : rapides, descentes de rapides, portages, etc. Quatre belles chutes jalonnent aussi cette dernière section. Et la rivière est finie… hélas!

Nous passerons d’abord par Aylmer Sound, sur le golfe Saint-Laurent, où nous arriverons à marée basse, et dans l’obscurité. Nous serons chaudement reçus par des gens sympathiques.

Le lendemain, après avoir passé la nuit au seul endroit où nous pouvons dresser nos tentes, soit le petit pont du village, nous prenons le petit déjeuner chez les parents de Clarence Cox, seul habitant du village de 24 familles qui arrive à se débrouiller en français et qui nous a reçus chez lui hier soir.

À onze heures, nous quittons pour Harrington Harbour où, après quelques difficultés que seront aplanies grâce à Nick Ziergiebel, un Américain à l’emploi de la Quebec & Labrador Foundation, nous nous installons dans des baraques pour attendre le Fort Mingan, ce bateau qui relie tous ces villages de la Côte-Nord. Nous attendrons ainsi jusqu’à samedi, soit quatre jours à s’empiffrer et à vivre dans l’attente de revoir nos ami(e)s.

Enfin, après 36 heures et 2 nuits à fraterniser sur le pont bondé du bateau, nous arrivons à Sept-Îles où nous attendent nos ami(e)s. Qu’il est bon de se retrouver! Même mon chien semble heureux.

Et pourtant, de nouveaux projets s’ébauchent…

La Fondation Rivières souhaite remercier Guy Garand, ancien directeur général du CRE de Laval, de nous avoir partagé le texte et les photos de son récit d’aventures sur la rivière du Petit Mécatina. 

Ce récit a initialement été publié dans le magazine Nord-North édition été-summer 1979.

Texte et photos : Serge Théorêt

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